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Photo du rédacteurNassira Belloula

Où est passé le Prix littéraire Yamina Mechakra ?

Institué en 2018 et discerné pour sa première édition en janvier 2019, le prix Yamina Mechakra a disparu subitement dans l’indifférence totale. Janvier devait être le mois de sa remise annuelle pour ne pas chevaucher avec celui d’Assia Djebar attribué en décembre.


Beaucoup d’interrogations et beaucoup d’amertume face à ce manquement à la mémoire d’une écrivaine qui a marqué notre littérature et même notre mémoire collective. N’est-elle pas celle qui a inspiré cette phrase célèbre de Kateb Yacine « À l’heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre ». Créer un prix à son nom par le ministère de la Culture a été accueilli avec beaucoup de satisfaction. Yamina Mechakra méritait grandement un tel honneur. Il est même d’un devoir de la célébrer.


Or, cette année, à l’approche de la date de remise du prix littéraire, aucun communiqué du ministère n’est venu confirmer sa tenue. Il n’y a pas eu d’appel à textes, d’installation de jury ni aucune information sur cet événement. Le mois de janvier est passé est Yamina Mechakra a de nouveau rejoint l’oubli. Cela ne semble pas émouvoir les personnes concernées. En premier lieu, le ministère de la Culture, les organisateurs, les membres du jury de la première édition, les journalistes et les lauréates. Ils auraient pu montrer un peu plus d’intérêts, par des interpellations, des rappels, des demandes d’éclaircissements, des questionnements… or ; le rideau a juste été baissé sur Yamina Mechakra. Ces pratiques nous disent combien notre environnement culturel est fragile. Combien le non-respect des engagements est facile sans tenir compte des préjudices que cela porte à des noms tels que celui de Yamina Mechakra.


L’auteure auréssienne native de Meskiana dans la wilaya d’Oum El Bouagui était psychiatre et écrivaine des plus essentielles de notre littérature. Méconnue certainement pas, oubliée certes. Ses deux romans éponymes sont incontournables La grotte éclatée publiée en 1979, préfacée par Kateb Yacine, et Arris sorti en 1999 dont le titre est celui d’une ville des Aurès, et le prénom du fils de l’héroïne de La grotte éclatée. L’écrivaine portait en elle beaucoup de tourments, de blessures, une santé fragile aussi physique que mentale, de ses propres aveux, ce qui l’avait empêché de jouir pleinement de l’écriture. Elle avait commencé à écrire très tôt vers l’âge de neuf ans, en tenant un cahier-journal sur la guerre. Puis, à douze ans, un roman Le fils de qui ? Et, à dix-neuf ans, La grotte éclatée. Hélas, comme elle le disait elle-même « les gens s’imaginent que je me suis tue. Or je n’ai cessé d’écrire, mais j’écris et je perds. Je n’ai pas la chance de Kateb Yacine qui a eu Jacqueline Arnaud qui a sauvé et fixé ses textes transhumants ». Elle poursuit « Je viens de publier Arris et j’en ai publié qu’un dixième. À l’origine, Arris fait 400 pages, et la mythologie d’Araki incluse dans le roman 120 pages. »

Yamina Mechkra s’en est allée sans avoir reçu la moindre reconnaissance de son vivant. Un prix était venu nous réconcilier avec cette mémoire incrédule… mais pour finir, j’emprunte cette phrase à Arezki Metref « Poétesse, ce qu’elle a écrit, ce qu’elle a crié, ne ressemble à rien d’autre de connu jusque-là. ». C’est d’autant vrai, car La grotte éclatéedemeure un classique, un legs des plus puissants que nous avons hérité de sa part. Un roman énormément lu, commenté, analysé, étudié en Algérie et à l’étranger, surtout dans les milieux universitaires. Par sa construction fragmentaire, sa prose poétique, il nous renvoie à Nedjma de Kateb Yacine. Il y’a notamment cette métamorphose des sentiments alliant folie et certitude, souffrance et plénitude, cette quête de soi à travers la figure maternelle de la terre-patrie.


Puis, il y’a cette phrase qui appartient à Yasmina Khadra, combien juste pour résumer ce naufrage observé dans un fait si anodin et si important, celui d’oublier d’organiser la deuxième édition du Prix Yamina Mechakra : « Yamina a vécu le naufrage auquel sont voués les consciences et les généreux chez nous. Aujourd’hui, elle repose dans nos mémoires sinistrées ».



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